La fille qui murmure à l’oreille des chevaux

Amel Meziane au Jumping International de Monte-Carlo

Notre numéro 1 du saut d’obstacles vient de participer aux épreuves des amateurs confirmés qui ont eu lieu du 26 au 28 juin à l’un des rendez-vous équestres les plus prestigieux au monde.

Monaco. Température 24 à 25 degrés. Un été comme on aime. Une nature bénie de Dieu. Une identité unique, contrastée entre mer et montagne. Des habitants que la vie a comblés et des touristes de toutes les nationalités, attirés par le charme de l’une des villes les plus huppées du monde et l’un des rendez-vous équestres les plus prestigieux : le Jumping International de Monte-Carlo.

Ces compétitions monégasques de saut d’obstacles organisées sous le haut patronage du Prince Albert, se sont déroulées du 26 au 28 juin 2014 au Port Hercule. Pistes, écuries, loges, restaurants, boutiques et tribunes ont été montés de toutes pièces au pied du Palais Princier. Il a fallu plus de 1.100 tonnes de sable pour couvrir cette partie du port, en vue d’accueillir des cavaliers amateurs et des cavaliers professionnels internationaux. A quelques centaines de mètres de cette infrastructure éphémère, on aperçoit le drapeau tunisien qui flotte au vent. Car, Amel Meziane, notre numéro 1 du saut d’obstacles concourt parmi les meilleurs au monde, et plus précisément dans les épreuves des amateurs confirmés. Sa participation au Jumping International de Monte-Carlo est prise en charge par Al Madanya. Entre autres actions de cette fondation de la société civile, il y a le Prix d’Excellence qu’elle décerne aux jeunes sportifs ou autres performants dans leur domaine, pour les aider à poursuivre leur rêve. Parce que, hélas, chez nous, le rêve est vite avorté. De toute façon, cela semble évident, la Fédération tunisienne du sport équestre ne peut pas prendre en charge ce genre d’évènements. Rien qu’à voir les profils des participants et les sponsors du Jumping International de Monte-Carlo, on devine rapidement que derrière la logistique, il y a de gros budgets. «Mais quelques secondes consacrées à une Tunisienne, sur la chaîne de télévision Eurosport, valent tout l’or du monde», avoue M. Lotfi Maktouf, président de la fondation. En suivant discrètement les activités et performances d’Amel Meziane pendant une année, Al Madanya n’avait nullement l’intention de clore le chapitre par le Prix d’Excellence (dont la cagnotte est confidentielle) ni par l’invitation de la cavalière à Monaco. La fondation s’est donnée pour mission de lancer tout un programme de développement du sport équestre tunisien. Dans une prochaine étape, après celle de Monaco, Al Madanya créera des plates-formes de réflexion autour de ce programme. Quant à sa relation avec la cavalière qui a honoré la Tunisie par sa présence dans un évènement aussi prestigieux qu’émouvant, la fondation veut l’entretenir et à long terme.

Une cavalière pas comme les autres Il faut le dire, Amel Meziane mérite toute l’attention du monde. Cette jeune fille de 17 ans qui vient tout juste d’avoir son bac avec mention assez bien, est non seulement une cavalière confirmée, mais déjà une femme affirmée. Nous nous sommes entretenus avec elle, après une deuxième épreuve où elle avait fait tomber deux barres. Nous pensions qu’elle viendrait au rendez-vous avec un moral à plat. Mais non. Amel est d’un optimisme sans pareil. «Je suis contente pour mon cheval qui n’a que 6 ans et qui fait son premier concours officiel international», nous dit-elle. La jeune cavalière sait qu’elle n’a rien à perdre, mais tout à gagner. «Me retrouver au Jumping de Monte-Carlo parmi les meilleurs du monde est une chance inouïe pour moi», confit-elle. Son plus grand bonheur est de voir flotter le drapeau tunisien sous d’autres cieux dans la sphère des grands. Animée d’un fort sentiment patriotique, Amel part dans des digressions qui racontent long sur sa vision de la politique et des politiciens. Elle rêve de justice et de paix et défend l’idée d’une Tunisie moderne et d’un peuple tunisien d’exception. «C’est à nous, les jeunes, de sauver ce pays en pleine dérive, que vous nous laissez en héritage», lance-t-elle avec un soupçon de reproche à la génération que nous représentons. Elle se rattrape tout de suite, en ajoutant, sourire au coin : «C’était une façon de parler». Quand même confiante, la jeune fille rebelle continue, en se laissant aller dans la critique et dans le procès de ceux qui sont «à faux». C’est-à-dire, d’après le jargon des cavaliers, ceux qui ont «le mauvais pied dans la mauvaise direction». Ses mains s’envolent en démonstration lorsqu’elle parle de l’importance de la culture et de l’éducation. Elle nous informe qu’elle compte s’inscrire dans une Fac de Droit, «pour mieux apprendre à raisonner». Ce sera peut-être en Belgique, aux côtés d’Elando, son cheval, vice-champion, catégorie «children». Il vit là-bas, dans un «stud-book», un élevage grand et étendu. Monaco n’est pas le premier concours international de la cavalière tunisienne, mais il est le plus important. D’ailleurs, elle profite de cet entretien pour déclarer sa reconnaissance envers Al Madanya : «L’aide de la fondation m’a redonné espoir. Je me sens mieux en sachant que ce sont les gens de mon pays qui m’ouvrent les grandes portes.» Mais elle doit tout à son père, Riadh Meziane, ancien entraîneur de sport équestre à Qatar. Aujourd’hui, il est son coach. Elle était nourrisson d’un jour lorsqu’il l’a fait monter à cheval pour la première fois. Depuis, elle a appris qu’avec les chevaux et les hommes (avec grand H), il vaut mieux construire une relation saine et paisible. Sa position de cavalière numéro 1 la place à l’endroit même où mordent les prédateurs. Elle en a souffert. Et c’est à son cheval qu’elle confie ses douleurs en lui murmurant à l’oreille. «Mais plus les gens sont méchants, plus je suis déterminée à aller de l’avant», conclut-elle, avec assurance. Amel Meziane était 11e à la fin des épreuves du Jumping International de Monte-Carlo. Sera-t-elle, un jour, cavalière de haut niveau, comme le Qatarien Bassem Hassan Mohammed, ancien élève de Riadh Meziane et qui a réalisé un véritable exploit en remportant le Global Champions Tour de Monte-Carlo, devant la plupart des plus grands cavaliers de la planète ? «Si je n’y arrive pas c’est pas grave», réplique-t-elle. Et d’ajouter : «Ma plus grande satisfaction est de déblayer le terrain pour les autres». Elle pense déjà à la relève! Sacrée Amel, sa seule rencontre à Monaco, en cette tiédeur sucrée du vendredi soir dernier, nous a rendus heureux.

Auteur : Souad Ben Slimane – www.lapresse.tn

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Photo : © Almadanya